Une mer sans poissons

Publié le par FISH


Un pavé
dans la mer !


Une mer sans poissons

Par Pascal Baraillé.





   “Une mer sans poissons” apparaît comme du pain béni pour étayer les actions du F.I.S.H., les différentes associations de protection de la ressource, et les prises de position de l’Europe face au déclin du thon rouge en Méditerranée : un véritable pavé lancé dans la mare, ou plutôt dans la mer !
Sa publication, au mois d’avril dernier, précède les décisions du Parlement Européen concernant l’interdiction de la pêche du thon rouge à partir du mois de juin, et ce jusqu’à la fin de la saison.



   Ce livre n’est pas un roman, mais un véritable outil pour comprendre que nos mers sont réellement en danger.
“Une mer sans poisson” est écrit par deux hommes : Philippe Cury et Yves Misery.
Le premier est docteur ès sciences, chercheur et directeur du CRH (Centre de Recherche Halieutique Méditerranéenne et Tropicale) basé à Sète, le second est journaliste scientifique au Figaro.
Autant dire qu’ils connaissent leur domaine !
Il faut remarquer que ce genre d’ouvrage ciblant les méfaits de la pêche industrielle est carrément inédit en France : en effet, trop peu d’auteurs s’attachent à mettre en cause ce genre de pratiques qui détruisent les mers et leurs habitants.

Razzias

   C’est d’abord le côté historique de la pêche industrielle qui est décrit.
Des études auxquelles ils ont eu accès montrent que déjà, homo sapiens avait commencé à exploiter la mer !
Cependant, c’est surtout lors des grandes découvertes que la mer devient pour l’homme
un fantastique garde-manger inépuisable, faisant l’objet des “premières razzias”.
Ainsi, le hareng va fonder la puissance de pays tels que la Grande Bretagne ou le Danemark, qui s’affrontaient pour contrôler cette pêche au XVIIème siècle.
L’ouvrage s’appuie non seulement sur des études, mais aussi sur des témoignages historiques et littéraires des siècles passés.

   En effet, de nombreux auteurs français ou anglais plus ou moins connus évoquent la richesse du milieu halieutique marin.
En France, c’est l’historien Jules Michelet qui met en avant la fécondité des vastes étendues liquides dans un ouvrage intitulé “La mer” (1861) ; en Ecosse, c’est un historien des pêches, James Bertram qui s’inquiète des futurs rendements de la pêche des harengs dans “La Moisson de la mer” (1873).
Et suite aux excès d’une pêche aveugle et séculaire, aujourd’hui les stocks de harengs s’affaiblissent : “le Conseil International pour l’exploration de la Mer, conseille une capture totale ne dépassant pas les 275 000 tonnes pour 2007”, expliquent-ils.
Dans les années soixante, il dépassait le million de tonnes !

   Le hareng n’est pas le seul poisson surexploité, depuis longtemps la morue l’est aussi.
Depuis, en fait, la découverte du grand banc de Terre Neuve au nord du Canada (dès le quinzième siècle), où les poissons frayent au printemps.
La morue étaient très consommée en Europe, fraîche mais surtout salée (souvent sur les bateaux), ce qui permettait de la conserver et de l’acheminer dans l’arrière-pays (en Aveyron par exemple).
Comme dans le cochon, tout est bon dans ce poisson (la vessie, le foie, les arêtes…) !

   Les grands mammifères marins comme les baleines sont aussi dans le viseur des hommes.
Depuis le XVème siècle, cette chasse était très lucrative et Yves Misery et Philippe Cury ne sont pas avares d’anecdotes concernant les produits qui seront issus des baleines tuées
au XIXème siècle.
Par exemple, la viande d’un seul de ces mammifères équivalait à celle d’un troupeau de 30 bovins ; le cuir était utilisé pour des ceintures, l’huile pour allumer les réverbères, les fanons étaient utilisés pour réaliser… les baleines des parapluies ou pour fabriquer les corsets de ces dames !
Finalement, de nombreux produits étaient dérivés des cétacés, là aussi c’était un animal dans lequel tout était bon à prendre !




   Au XIXème siècle, peu de personnes se souciaient alors de l’avenir des océans et de leurs habitants.
Ce n’est qu’aux alentours de 1920 que les hommes commencent à prendre conscience d’une exploitation trop intense des mers.
Dans cette partie réservée à la sur-pêche, certaines phrases peuvent sembler peut-être trop scientifiques, mais elles sont nécessaires pour étayer ce phénomène.
Les thèses et les hypothèses des grands spécialistes internationaux y sont confrontées et expliquées.
Tous ne sont pas d’accord : certains expliquent les conséquences de la sur-pêche alors que d’autres n’y voient aucun mal.
“Les discours sur la sur-pêche ne sont pas près de s’éteindre” écrivent-ils.

32millions de tonnes de cadavres… pour rien.

   “La pêche, une chasse à l’aveugle” est un chapitre consacré aux méthodes qui permettent de prendre les poissons et les méfaits de ces pratiques.
Les deux spécialistes évoquent les fameuses captures accessoires, c’est-à-dire tout ce qui sera remis à l’eau à l’arrivée au port.
Ce sont les espèces non ciblées, mais aussi les mammifères marins comme les tortues ou encore les requins qui se prennent dans les filets et… meurent.
Ces captures concernent aussi les poissons qui ne font pas la maille, remis à l’eau alors qu’ils sont… morts.
L’un des exemples donné est celui des chalutiers du Golfe de Gascogne, qui, même si leurs filets sont adaptés à la pêche du merlu et de la lotte, ramassent d’autres espèces qui ne seront pas vendus !
Dans le monde, 32 millions de tonnes de poissons et autres crustacés ou mammifères sont ainsi rejetés par-dessus bord alors qu’ils sont morts.
Funeste constat dont on ne parle pas au 20h !

Yves Misery et Philippe Cury sont très explicites sur les méthodes utilisées par les pêcheurs et qui sont lourdes de conséquence pour les océans.
L’exemple le plus frappant est celui des chaluts, aussi appelés bulldozers des mers, qui font de terribles dégâts sur la faune et la flore des océans et des mers.
D’ailleurs, au XIVème siècle, ce genre de pratique était mal vu par les pêcheurs aux casiers.
Les filets très longs et très profonds raclent le fond des mers, causant des cicatrices profondes aux mondes marins pour ne récupérer que quelques espèces économiquement rentables.
Cury et Misery évoquent les pêches aux explosifs et au cyanure qui se développent aux Philippines et dans de nombreuses îles paradisiaques.
Celles-ci entraînent une dégradation des sites mais aussi des tensions entre ces pêcheurs et les pêcheurs traditionnels.



   Dans le quatrième chapitre, “la surenchère technologique”, les deux auteurs expliquent la course à l’armement des différents acteurs de la pêche.
Ils décrivent toujours grâce à des exemples historiques et scientifiques les matériels utilisés autrefois et de nos jours pour traquer les poissons et en pêcher toujours plus !
Si les bateaux de pêche sont moins nombreux, ils sont cependant suréquipés (autant au niveau technologique, avec l’aide des radars et autres GPS, que sur le plan de la puissance des moteurs) et peuvent chercher les poissons de plus en plus loin et plus facilement.

   Les quatre derniers chapitres sont plutôt centrés sur l’homme en tant que super-prédateur, qui détruit une nature trop fragile.
L’homme connaît de mieux en mieux les habitudes des animaux, ce qui lui permet de les capturer plus aisément.
Les exemples sont extrêmement bien choisis pour montrer comment la pêche professionnelle a supplanté la pêche sportive depuis le XIXème siècle, notamment pour la pêche des saumons.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier les pollutions et les barrages, qui causent des mortalités parmi les poissons migrateurs.
Le cas du saumon et de l’anguille (poisson qui n’est pas toujours bien vu des pêcheurs) sont très bien traités.
Un autre exemple du gâchis et de la folie humaine est celui des ailerons de requin.

   La difficile “question cruciale de la gestion de la ressource”, est le titre d’un sixième chapitre dans lequel la politique de certains pays vis à vis de leurs ressources marines est montré du doigt.
Les auteurs expliquent avec brio que des pays comme la France aident, à coup de subventions, de détaxations sur le carburant, etc., les pêcheurs qui finalement n’hésitent pas à prendre les poissons en dessous des tailles légales !
D’après des sources sûres, ils démontrent que la France est un mauvais élève “en matière de contrôle de la réglementation des pêches”, et cela dure depuis trente ans !
Il faut attendre 2005 pour que la cour de justice européenne inflige “une amende de 20 millions d’euros, assortie d’une astreinte de 57,7 millions d’euros” à l’Etat français, trop laxiste avec ses pêcheurs !

Nous mangeons d’abord les juvéniles.

   Ceci n’est qu’un exemple des débordements de la part de certains pays en matière de gestion halieutique.
Lorsque vous lirez ce chapitre, vous découvrirez comment l’Europe achète des droits de pêche aux pays africains et pille leurs richesses maritimes en toute impunité, ne reversant qu’une somme minime aux pays accueillants.
Mais ce n’est pas tout, cette partie du livre nous révèle les flous juridiques internationaux dont profitent les senneurs (pêcheurs de thon qui utilisent la senne, un filet qui entoure les bancs de thons) qui menace le thon rouge de disparaître en Méditerranée.
En effet, certains thoniers français n’ont pas hésité à s’installer à Tripoli afin d’exploiter les zones de pêches libyennes, ainsi “ils peuvent émarger aux quotas français et libyens” expliquent les deux auteurs.
Situation difficile à avaler de la part des écolos et des scientifiques d’autant plus que, d’après des témoignages édifiants dénichés par les deux spécialistes, les thoniers contestent la situation de sur-pêche du thon rouge en Méditerranée.

   L’avant-dernier chapitre évoque le fait de “manger du poisson par temps de surexploitation”.
Les deux spécialistes expliquent que la répartition de la consommation est inégale, calquée sur la répartition des richesses mondiales : pour faire simple, les pays les plus riches sont les plus gros consommateurs de poissons !
De nouveau, les deux compères égratignent l’image de la pêche industrielle en France en révélant que : “95% des poissons pêchés sont inférieurs à 23 cm.
Nous mangeons désormais presque exclusivement des juvéniles, mais nous ne nous en apercevons même pas”.
Ceci est en partie dû aux contrôles de la taille des poissons, pratiquement inexistants jusqu’en 2006 dans notre beau pays !
C’était d’ailleurs une des revendications du FISH..

   Pour finir, les auteurs abordent “les écosystèmes marins au cœur de la pêche”, plutôt ciblée sur l’environnement qui entoure nos compagnons de jeux.

   Après avoir lu ce livre (imprimé sur du papier recyclé), tout devient plus clair pour le novice en matière de pêche maritime.
Les nombreuses révélations, très bien argumentées vis à vis des institutions françaises et européennes, laissent tout de même un goût amer au pêcheur sportif pratiquant le no-kill intéressé par les questions halieutiques d’ordre général.
Dans Une mer sans poissons, Philippe Cury et Yves Misery nous font prendre conscience des problèmes qui existent parfois depuis longtemps.
Ils pointent du doigt les principaux acteurs, responsables de la sur-pêche, des ministères jusqu’aux pêcheurs.


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